Mon Amour (Désolé pour les carrelages)

Le texte Mon Amour (Désolé pour les carrelages) est lié à la rénovation de l’appartement de ma grand-mère. Il combine des observations liées à la transformation de l’espace, des extraits de conversations ou de rêves, des morceaux de prières ou d’horoscopes. Tous ces mots ont été prononcés à un moment ou à un autre dans l’appartement, avant ou durant la rénovation. Le texte, répétitif, propose une réflexion sur la limite entre occuper et hanter un espace.

A l’Espace Vallet de Vercorin, en 2015, le performer a patienté durant une heure sur un banc, le regard fixe, durant la visite guidée de l’exposition « Présences, Edouard Vallet – Eric Philippoz ». Une fois la visite terminée, il s’est levé et a déclamé le texte en l’adressant aux personnes présentes de manière neutre, mais droit dans les yeux.



texte et performance
Espace Vallet, Vercorin, 15.08.2015
 

Chauffer la surface avec le foehn,
gratter un coin avec les ongles,
tirer délicatement,
éviter de laisser des résidus sur les catelles

Mon Amour,
Je retire les autocollants qui décorent la cuisine.
Les oiseaux,
les fleurs,
les ramoneurs,
les abeilles.
Chauffer la surface avec le foehn, gratter un coin avec les ongles, tirer délicatement, éviter de laisser des résidus sur les catelles
Chauffer la surface avec le foehn, gratter un coin avec les ongles, tirer délicatement, éviter de laisser des résidus sur les catelles

Mon Amour,
Je vais mourir.

Mon Amour
Je suis mort.
Regarde-moi
je suis mort.
Je suis venu te hanter.
C’est comme ça.
Je suis venu te hanter.
J’ai décidé ça hier soir au souper.
Je mangeais seul.
Je me suis dit.

Mon Amour,
J’ai passé les quatre derniers jours à frotter
nettoyer
panosser
désinfecter.

Je vais mourir.
C’est comme ça.

Mon Amour, je vais mourir.
Je vais te sourire une dernière fois,
Te dire merci d’être venu.
Je vais me retourner,
Te montrer au revoir de la main,
Et mourir.
Mon Amour
Je suis mort.
J’ai pleuré dans tes bras.
J’ai goûté ton corps.
Chaque partie.
Chaque centimètre de peau.
J’ai caressé tes cheveux,
J’ai réchauffé tes mains.
J’ai arraché les carrelages.

Chauffer la surface avec le foehn, gratter un coin avec les ongles, tirer délicatement, éviter de laisser des résidus sur les catelles
Je retire les autocollants qui décorent la cuisine.
Les oiseaux,
les fleurs,
les ramoneurs,
les abeilles.
Chauffer la surface avec le foehn, gratter un coin avec les ongles, tirer délicatement, éviter de laisser des résidus sur les catelles
Chauffer la surface avec le foehn, gratter un coin avec les ongles, tirer délicatement, éviter de laisser des résidus sur les catelles
Chauffer la surface avec le foehn, gratter un coin avec les ongles, tirer délicatement, éviter de laisser des résidus sur les catelles

J’ai passé les quatre derniers jours à frotter
nettoyer
panosser
désinfecter.

J’ai déplacé la table.

J’éteins la lumière
Je tire le duvet sur moi.
J’entends des bruits
Du bois qui craque.
Je n’arrive pas à dormir.
Je pense à toi.
Une voiture passe.
Le matelas est un peu dur.
J’ai des fourmillements dans le bras droit.
Je me tourne.
Je me retourne.
Je rallume.
Le miroir, les vitres. Tout se reflète.

Mon Amour,
J’ai oublié ton sourire.

Mon Amour,
Tu casses les carrelages de la cuisine.
Tu commences par la ligne du haut, celle où étaient collés les oiseaux, les fleurs, les ramoneurs, les abeilles.
Les carreaux explosent les uns après les autres sous les coups du marteau piqueur.
Mon Amour,
Chaque catelle arrachée m’éloigne un peu plus de toi.

J’ai passé les quatre derniers jours à frotter
nettoyer
panosser
désinfecter.
Déplacer la table.

Mon Amour.

Tu me vois encore ici,
Chaque fois que tu entres.
Tu m’imagines
Tu m’oublies.

Tu prends mes mains froides et tu les réchauffes
Je suis assis sur le radiateur, comme d’habitude,
Tu entres, tu prends mes mains froides et tu les enveloppes des tiennes
Comme d’habitude
Tu me vois encore ici,
Chaque fois que tu entres.
Mon Amour.
Tu m’imagines.
Tu m’oublies.
Tu me tues.
Tu te repens.
Mon Amour.

Chauffer la surface avec le foehn, gratter un coin avec les ongles, tirer délicatement, éviter de laisser des résidus sur les catelles
Chauffer la surface avec le foehn, gratter un coin avec les ongles, tirer délicatement, éviter de laisser des résidus sur les catelles
Chauffer la surface avec le foehn, gratter un coin avec les ongles, tirer délicatement, éviter de laisser des résidus sur les catelles
Chauffer la surface avec le foehn, gratter un coin avec les ongles, retirer des morceaux de toi de la cuisine, éviter de laisser des résidus sur les catelles

Mon Amour,
Je m’offre tout à toi.
Je te consacre mes yeux,
mes oreilles,
ma bouche,
mon cœur,
Tout mon être

Mon Amour,
Tu oublies ma voix.

Je suis dans la cuisine, assis à la table. C’est ta cuisine, elle est encore intacte : les
carrelages beiges, les autocollants d’oiseaux, de fleurs, de ramoneurs, d’abeilles. La cuisinière dans le fond de la pièce, la nappe en plastique. Je suis assis à la table et j’essuie des assiettes, très lentement.

Tu es là, de dos, tu laves la vaisselle. Je m’approche de toi, je te prends les épaules avec tendresse et je te remercie. Sans me regarder, tu réponds : « Laisse-moi, s’il-te-plaît. Je suis fatigué. » Je te dis : « Je t’aime ». Tu lèves les yeux sur moi. Tu as le visage rond et vigoureux. Tu me regardes droit dans les yeux et tu me lances froidement :

Mon Amour,
Tu ne me manques pas.
C’est comme ça.
Déjà je ne pense plus à toi.

Début avril 2011 jusqu’à début février 2013: Neptune Sextile Neptune. Réformes positives. C’est une période de prise de conscience nouvelle par rapport au sens qu’a votre vie. Avant cela, vous avez travaillé à comprendre qui vous êtes et maintenant vous en avez une idée assez précise. Mais vous pouvez aussi avoir découvert que ce que vous faites de votre vie n’est pas approprié. Vous pouvez conclure que dans le passé, vous étiez motivé par une conception trop étroite de ce que vous êtes, par un besoin de sécurité ou simplement par les pulsions de votre ego.
Maintenant, vous commencez à considérer la vie selon une perspective plus vaste.

J’ai passé les quatre derniers jours à frotter
nettoyer
panosser
désinfecter.
casser les carrelages.

Mon Amour,
Je suis là.

Mon Amour,
Tu me regardes.
Tu me juges.
Tu m’aimes.
Tu me détestes.

Soudain tu m’apparais, de dos, debout dans l’escalier, un peu caché derrière le pot de géraniums.
Je te vois entrer dans la maison,
Te déplacer dans chaque pièce,
dans chaque recoin
Jusque dans ma chambre.
Alors je sais que tu es là.
Maintenant.
Près de mon lit.
Derrière mes paupières fermées, je perçois des changements de lumière, comme si quelqu’un passait et repassait devant moi.
je serre fort mes paupières.
Je me tourne sur le côté droit,
Je me tourne sur le ventre, la tête écrasée dans les coussins.

Chauffer la surface avec le foehn, gratter un coin avec les ongles, tirer délicatement, éviter de laisser des résidus sur les catelles
Chauffer la surface avec le foehn, gratter un coin avec les ongles, tirer délicatement, éviter de laisser des résidus sur les catelles
Chauffer la surface avec le foehn, gratter un coin avec les ongles, tirer délicatement, éviter de laisser des résidus sur les catelles
Chauffer la surface avec le foehn, gratter un coin avec les ongles, tirer délicatement, éviter de laisser des résidus sur les catelles
Chauffer la surface avec le foehn, gratter un coin avec les ongles, tirer délicatement, éviter de laisser des résidus sur les catelles
Chauffer la surface avec le foehn, gratter un coin avec les ongles, tirer délicatement, éviter de laisser des résidus sur les catelles

Mon Amour,
Désolé pour les carrelages.

Mon Amour,
Ton corps qui s’évanouit,
Ta force qui te quitte.
Mon Amour,
Tu es mort.
Ton corps froid, statique.
Muet.
Une image.

Souviens-toi,
Mon Amour
Sous le crucifix,
Le chœur d’hommes :
« Sont-ils rongés de remords ?
souffrent-ils ?
ont-ils l’esprit tranquille ?
ceux qui sont couchés
à l’ombre de nos clochers ? »

Mon Amour,
Je m’agenouille à tes pieds.
Je te consacre mon corps, mon cœur, mon âme.
Je te confie les intérêts du temps et de l’éternité.

Mon Amour,
J’ai passé les quatre derniers jours à
casser les carrelages.

Je suis là.
Sur le pas de la porte.
Dans la cuisine.
Dans la chambre.
Au pied de ton lit quand tu dors.

Tu es couché dans ton lit, sur le côté, les yeux fermés.
Tes cheveux sont tout aplatis
Tes ongles ont usé les barreaux du lit, du côté des pieds.

Je suis venu te hanter.
J’ai décidé ça hier soir au souper.
Ne pleure pas
Ce n’est qu’un jeu.
Je prie pour toi

Mon Amour,
Je suis là,
Je me prosterne à tes pieds.

Souviens-toi
Mon Amour,
Je t’aime (chuchoté).

Mon Amour,
Je rêve de toi.
Tu laves la vaisselle.
Je caresse tes cheveux.
Je réchauffe tes mains

Mon Amour,
J’ai passé les quatre derniers jours à
Oublier ton sourire

Bienvenue chez toi, mon Amour.

Je suis venu te hanter.
J’ai décidé ça hier soir.
Je suis venu te hanter.
Jusqu’à ma mort.

Occuper les lieux.

Une présence.